chapitre 2

                                                                        

Un choc. La lecture de ce petit mot fut plus terrible qu'un tremblement de terre. Qu'est-ce que ça pouvait bien signifier. Il avait l'air normal cet homme. Pas l'attitude d'un déséquilibré, d'un mythomane, ou d'un schyzophrène. Non, juste l'air normal. Mais qu'est-ce que ça voulait donc dire? Pourquoi moi? Pourquoi maintenant?

Mon père, je l'ai connu. Il est mort il y a trois ans de son putain de cancer de la gorge. Aprés quelles souffrances d'ailleurs. J'ai passé suffisament de temps avec lui pour savoir qu'il était bien mon père. Mon papa. Celui qui m'a serré dans ses bras quand j'avais des chagrins étant enfant, celui avec qui j'ai fait plein de choses, celui avec qui j'ai appris à faire du vélo, à ramasser des champignons, celui avec qui j'allais au cinéma, celui qui vaillament m'accompagnait tous les samedi sur les terrains de foot pour me voir jouer. C'est lui qui m'aidait à faire mes devoirs, c'est lui qui me remontait le moral lorsque ça n'allait pas.

Qu'est-ce que ça voulait dire? Incompréhension. Ma femme non plus ne comprenait rien à tout ça. Je tentais d'appeler ma mère, mais depuis cinq ans qu'elle souffrait d'alzheimer, elle ne me reconnaissait même plus, alors à quoi bon. Les infirmiers avaient été clairs à son sujet, sa raison l'avait quittée, et jamais plus elle ne serait lucide, donc aucun espoir d'explication de ce côté là.

Je me souvins que j'avais toujours la carte qu'il m'avait laissée avant de partir, lorsqu'il m'avait donné les boites de chocolat. Je la pris et j'essayais le numéro de téléphone indiqué dessus. Une voix robotique de répondeur me répondit que j'étais bien au numéro que j'avais composé, sans donner de nom ou d'autre message plus explicatif. Je laissais un message, demandant à Bernard de me rappeler de toute urgence. En voulant vérifier son adresse sur internet, je me rendis compte qu'il était sur liste rouge. Alors comment savoir si l'adresse de la carte était la bonne. Il ne me restait plus qu'à attendre son éventuel coup de fil.

Et tout tournait toujours dans ma tête. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ...

J'essayais de me remémorer ma vie passée, les mots de ma mère ou de mon père qui auraient pu me laisser penser que mon père n'était pas mon géniteur. Mais rien, absolument rien ne remontait à la surface de mes souvenirs. Je ressortais l'album photos de famille, et à force de scruter chaque photo dans tous les sens, je n'arrivais pas à décider si je ressemblais réellement à mon père ou si c'est moi qui me faisait des idées. Il faut dire que je n'ai jamais été vraiment doué au jeu des ressemblances. Mais même ma chère et tendre épouse n'était pas formelle à ce sujet, et pourtant, elle était beaucoup plus physionomiste que moi.

Je continais à aller travailler, rongé par mille questions. Je passais trés vite d'un sentiment à un autre. Je prenais ça trés au sérieux, et cinq minutes plus tard je me disais que tout ça n'était que l'invention d'un fou qui voulait jouer avec mes nerfs. Mais alors pourquoi m'avait-il semblé si normal, si comme tout le monde, monsieur tout le monde. Non, ce ne pouvait pas être un mauvais plaisantin, ce n'était juste pas concevable. Peut-être s'était-il trompé. Il doit bien y avoir en france d'autres personnes qui portent les mêmes nom et prénom que moi. Et effectivement, en cherchant un peu j'en dénombrais 23 dans tout l'hexagone. Cette solution me parut la plus plausible, et en rentrant chez moi le soir, je retéléphonais au numéro que l'homme m'avait laissé en lui expliquant sur la messagerie qu'il avait certainement du faire une erreur sur la personne et que je n'étais pas celui qu'il croyait.

Gentillement, je lui laissais même un petit mot d'encouragement pour ses futures recherches, devinant que ce ne devait pas être trés facile pour lui de rechercher un fils qu'il n'avait probablement jamais connu.

Si j'avais pu deviner la suite, je crois que j'aurais brûlé cette carte plutôt que l'avoir relue des centaines de fois.

à suivre...